Cadres : des talents comme les autres ?
Gestion de la formation — GPEC – 12/12/2023
Si la notion de « talent » s’est largement répandue dans le monde de l’entreprise, elle recouvre des réalités et perceptions différentes, affaiblissant ainsi la politique RH dédiée à l’identification et au développement des collaborateurs concernés. C’est l’un des principaux enseignements d’une récente étude, qui s’est intéressée spécifiquement à la situation des cadres.
Existe-t-il une incompréhension entre les cadres et les services RH ? Les premiers ne se sentiraient pas concernés par la dénomination de talent, alors que les seconds mettent en place des programmes de développement qui leur sont dédiés ; et tandis que cette population de salariés a tendance à considérer que ces programmes sont élitistes, leurs concepteurs et diffuseurs prônent au contraire une vision élargie de la notion de talent… Cette dichotomie est au cœur de l’étude réalisée par la Chaire compétences, employabilité et décisions RH de l’EM Normandie, dirigée par Jean Pralong, auprès de 499 cadres et dirigeants. L’occasion, aussi, de revenir sur la dimension polysémique, et donc potentiellement floue, de ce que l’on entend par talent.
Ce terme s’est progressivement imposé dans les entreprises après un rapport réalisé par le cabinet McKinsey à la fin des années 1990, et consacré aux prémices de la « guerre des talents ». Aujourd’hui, chaque organisation déploie sa propre stratégie de gestion des talents, dans une logique plus ou moins sélective et avec ses propres critères. « Malgré des ambiguïtés quant à son contenu, l’idée de talent est bien circonscrite : elle désigne les ressources individuelles prioritairement attendues, reconnues et récompensées par les entreprises, expliquent les chercheurs de l’EM Normandie. En découlent, pour les équipes RH, des pratiques de recrutement, de mobilité et de développement des compétences. » Et des visions spécifiques de ce qu’est un talent, parmi les cadres.
Deux visions du talent : exclusive ou inclusive
Il ressort de l’étude qu’un diplômé de grande école de commerce est presque toujours considéré comme tel, indépendamment de ses performances réelles. Cette « prime au diplôme et au potentiel » va désavantager les titulaires d’un bac+2 type BTS, même quand ils surperforment. Autre facette de ce portrait-robot : une ancienneté « idéale » de deux ans, qui tend à favoriser les nouvelles recrues et les candidats sur le marché externe. Par ailleurs, on va davantage associer au talent des compétences liées à la transformation – être force de proposition, avoir du sens stratégique –, qu’à l’excellence opérationnelle.
En termes de programmes RH, la plupart des dirigeants et cadres reconnaissent la valeur des actions de détection (assessment center, tests), tandis que les actions de développement proposées, type parcours haut potentiel et formation, sont jugées moyennement utiles.
En affinant les résultats, les chercheurs ont mis en évidence deux approches opposées de la gestion des talents. La première, que l’on peut considérer comme exclusive, est majoritaire chez les cadres interrogés. C’est celle qui correspond à la vision moyenne des répondants – et des experts de McKinsey : « les talents sont des potentiels à détecter mais pas à développer ; leur rôle sera de transformer l’entreprise ; c’est grâce au marché externe qu’on peut les trouver ». Du côté des dirigeants et des équipes RH, une autre ambition, plus inclusive, se dessine : le talent est défini « par ses performances et son excellence à court terme ; on les trouve dans le marché interne ; l’enjeu est de les développer ».
Les responsables formation attendus sur le volet « développement »
Les chercheurs dressent quelques pistes pour combler ce gap, réconcilier les cadres avec l’approche inclusive et nourrir, in fine, la stratégie de gestion des talents – pour renforcer leur fidélisation. Par exemple, définir le talent en fonction d’une stratégie RH globale, associée à une stratégie organisationnelle et à une stratégie générale d’entreprise ; donner davantage d’importance à la dimension collective du talent ; ou encore fonder le talent sur la reconnaissance, par une évaluation objective des compétences des collaborateurs, de leurs potentiels et des possibilités de mobilité.
Autant de pistes à creuser avec le concours du responsable formation, en charge de mettre en musique les orientations sur le volet « développement ». On le voit avec les résultats de l’étude : des axes d’amélioration le concernent, notamment sur la conception des programmes et leur communication interne, afin de donner toute sa place à l’approche inclusive.
Jérôme Lesage
Le blog de la formation
Quelle vision dirigeants et cadres ont-ils de ce qu’est, ou non, un talent ?
D’après une étude de chercheurs de l’EM Normandie, cette notion est avant tout liée au niveau de diplôme du cadre, à un potentiel en devenir et à des compétences utiles à la transformation de l’entreprise. Davantage associée au marché externe qu’au vivier interne, elle fait l’objet d’actions de détection utiles, mais pâtirait sur le volet « développement », du moins aux yeux des cadres interrogés.
Une autre approche est-elle possible pour dépasser ces schémas ?
Une démarche inclusive est privilégiée par les dirigeants d’entreprise et leurs équipes RH : une détection basée davantage sur les performances que le niveau de diplôme ; la priorité à donner au marché interne, donc aux collaborateurs en poste ; et une volonté de développer les talents identifiés, notamment par de la formation. Autant de moyens de renforcer leur expérience collaborateur et leur fidélisation.
Quelles pistes peuvent être explorées par les organisations ?
Plusieurs directions sont proposées par les chercheurs : par exemple, nourrir le talent par la stratégie RH et organisationnelle ; associer davantage talent et performance collective ; fonder le talent sur la reconnaissance et le lier aux compétences cruciales pour l’entreprise.